Un Testament

 » « Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » »

(Jean 10,18)


Un Testament spirituel ! 

« S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat.

Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.  C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam.

Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église. Précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’Islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences. 

Cette vie perdue totalement mienne et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô mes amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « À-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN ! Inch’Allah !  »

Alger, 1er décembre 1993, Tibhirine,1er janvier 1994

Christian

Source :

http://(https://www.moines-tibhirine.org)

Ceci, mes bien chers soeurs et frères, est le « Testament spirituel » de Christian de Chergé, moine et prieur au monastère de l’Atlas, assassiné en Algérie le 21 mai 1996. Testament écrit plus d’un an avant sa mort, mais découvert après. 

En ce temps de confinement, et en ce jour souvenir où La Vie S’est donnée en rachat pour la multitude de tous les temps présent, passé et à venir, j’ai pensé partager en guise de méditation, ce testament d’une autre vie donnée au même service : celui du Royaume de l’Amour.

Plus qu’un testament, ceci est une inspiration, un exemple, une source d’enrichissement spirituel, à laquelle celui qui vient puiser, peut humer discrètement le parfum du Sang répandu un jour certain dans le lieu dit Golgotha il y a plus de 2000 ans de cela.

Que Dieu ait pitié de nous tous en ce temps de grande épreuve où L’Homme est agenouillé bien malgré lui, impuissant et bien peu de chose bien à cause de lui.

Que la contemplation de Jésus en Croix nous redonne Sa Paix. Que l’admiration devant Son tombeau ouvert nous apporte La Joie. 

Amen + 

« Est-ce que nous pouvons, à partir de notre partage, essayer de compléter cinq mots qui commencent par P comme la paix ? Je crois que, sans ces cinq pilliers, il n’y a pas de paix possible. Mais la paix est d’abord un don de Dieu. Elle nous est donnée. Ne disons pas qu’elle n’existe pas, elle est là. Il faut simplement la faire émerger : Patience (persévérance, c’est pareil), Pauvreté (pas misère…), dans le sens «humilité», Présence (c’est au centre), Prière, et Pardon… Mais Dieu lui-même est pauvre, Dieu lui-même est présent, Dieu lui-même est prière…»

Frère Christian

Je t’aime Seigneur, ma Joie, ma Force. C’est Toi que mon coeur a cherché. C’est Toi qu’il a trouvé.